Les collaborations LIGO, Virgo et KAGRA célèbrent l'anniversaire de la première détection d'ondes gravitationnelles et annoncent la confirmation du théorème de Stephen Hawking sur la surface des trous noirs.

Le 14 septembre 2015 un signal traversait la Terre, porteur d’informations sur un couple de trous noirs lointain qui avaient fini par fusionner après avoir longuement spiralé l'un autour de l'autre. Ce signal était une vibration de l'espace-temps, appelée onde gravitationnelle par Albert Einstein, car c’est lui qui en avait fait la théorie presque100 ans plus tôt. Le signal avait voyagé à la vitesse de la lumière pendant environ 1,3 milliard d'années avant de nous atteindre.

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A physics icon: Stephen Hawking in the 1970s. (Courtesy: The Franklin Institute/AIP Emilio Segrè Visual Archives, Physics Today Collection)

Ce jour-là, il y a 10 ans, les deux détecteurs jumeaux Laser Interferometer Gravitational wave Observatory (LIGO) détectaient pour la première fois au monde une onde gravitationnelle. Cette grande première fut annoncée mondialement par les collaborations LIGO et Virgo en février 2016, après six mois d'analyse commune et de vérifications poussées.


Cette découverte signifiait que les chercheurs avaient réussi à percevoir l'Univers à travers un nouveau moyen d’observation. Nous connaissions les ondes lumineuses, telles que les rayons X, la lumière visible, les ondes radio etc, et nous connaissions aussi les particules de haute énergie appelées rayons cosmiques, Mais c'était la première fois que les scientifiques observaient un événement cosmique à travers la déformation gravitationnelle de l'espace-temps qu’il générait. Pour cette réussite, trois des fondateurs de LIGO ont remporté le prix Nobel de physique en 2017 : Rainer Weiss, professeur émérite de physique au MIT (décédé récemment à l'âge de 92 ans), Barry Barish et Kip Thorne, tous deux de Caltech.


Cette première détection était aussi un moment historique pour le Laboratoire ARTEMIS de l’Observatoire de la Côte d’Azur. Son fondateur et directeur, Alain Brillet, a reçu la médaille d’Or du CNRS en 2017 aussi, pour ses travaux menant à la construction de Virgo à Cascina près de Pise, et cette première détection.


Aujourd’hui, les cinq détecteurs en service, les deux LIGO – un à Hanford, dans l'État de Washington, et un à Livingston, en Louisiane – Virgo en Italie et KAGRA au Japon, fonctionnent de façon coordonnée et observent environ une fusion de trous noirs tous les trois jours. Ensemble, le réseau de détection des ondes gravitationnelles, connu sous le nom de LVK (LIGO, Virgo, KAGRA), a capturé au total plus de 300 fusions de trous noirs, dont la plupart ont déjà été confirmées, tandis que certaines attendent encore une analyse plus poussée. Au cours de la campagne scientifique actuelle du réseau LVK, la quatrième, environ 230 fusions potentielles de trous noirs ont été découvertes, soit plus du double du nombre détecté lors des trois premières campagnes d’observation.


L'augmentation spectaculaire du nombre de découvertes par LVK au cours de la décennie est due à plusieurs améliorations apportées aux détecteurs, dont certaines font appel à une ingénierie quantique de pointe pour mesurer les infimes distorsions spatio-temporelles induites par les ondes gravitationnelles : LIGO Virgo restent de loin les instruments de mesure les plus sensibles jamais élaborés sur Terre. Ils parviennent à détecter des changements de longueur inférieurs à 1/10 000 de la largeur d'un proton ! C'est 700 milliards de fois plus petit que la largeur d'un cheveu humain.


Le signal le plus clair jamais observé
L’amélioration de la sensibilité des instruments a été récemment illustrée par la découverte d'une fusion de trous noirs appelée GW250114 (les chiffres indiquent la date à laquelle le signal d'onde gravitationnelle est arrivé sur Terre : le 14 janvier 2025). Cet événement est très similaire à la toute première détection (appelée GW150914) : les deux événements impliquent la collision de trous noirsde masses comprises entre 30 et 40 fois celle de notre Soleil, et elles sont situés à environ 1,3 milliards d’années-lumière. Mais grâce à 10 ans de progrès technologiques permettant de réduire le bruit instrumental, le signal GW250114 est nettement plus clair.


« Nous pouvons l'entendre haut et fort, ce qui nous permet de tester les lois fondamentales de la physique », explique Katerina Chatziioannou, professeure adjointe de physique à Caltech et membre de la collaboration LIGO, et l'une des principales auteures de l’étude sur GW250114 nouvellement parue dans Physical Review Letters.


En analysant les fréquences des ondes gravitationnelles émises par cette fusion, l'équipe LVK a pu fournir la meilleure preuve observationnelle jamais obtenue à ce jour pour ce que l'on appelle le théorème de l'aire des trous noirs. C’est au départ une idée avancée par Stephen Hawking en 1971 selon laquelle la surface totale des trous noirs ne peut pas diminuer. Lorsque des trous noirs fusionnent, leurs masses se combinent, augmentant ainsi leur surface. Mais une partie de l'énergie est dissipée sous forme d'ondes gravitationnelles, et la fusion peut entraîner une rotation élevée du trou noir final qui réduit sa surface. Le théorème de l'aire des trous noirs stipule que, malgré ces facteurs contradictoires, la surface totale doit augmenter.


Un peu plus tard, Stephen Hawking et le physicien Jacob Bekenstein ont conclu que la surface d'un trou noir est proportionnelle à son entropie, qui constitue en thermodynamique une mesure du degré de désordre. Ces découvertes ont ouvert la voie à des travaux révolutionnaires dans le domaine de la gravité quantique, qui tente de réunir les deux piliers de la physique moderne : la relativité générale et la physique quantique.


De façon plus précise, la détection de GW250114 (réalisée uniquement par LIGO, Virgo étant en maintenance de routine et KAGRA hors service pendant cette observation particulière) a permis à l'équipe d'« entendre » deux trous noirs grandir à mesure qu'ils fusionnaient en un seul, confirmant ainsi le théorème de Hawking. Les trous noirs initiaux avaient une superficie totale de 240 000 kilomètres carrés (environ la taille du Royaume-Uni), tandis que la superficie finale était d'environ 400 000 kilomètres carrés (presque la taille de la Suède), soit une augmentation évidente. Il s'agit du deuxième test du théorème sur la surface des trous noirs ; un premier test avait été réalisé en 2021 à partir des données du signal GW150914, mais comme ces données n'étaient pas aussi nettes, les résultats avaient un niveau de confiance de 95 %, contre 99,999 % pour les nouvelles données.


Kip Thorne se souvient que Stephen Hawking l'avait appelé immédiatement après avoir appris la détection des ondes gravitationnelles en 2015 pour lui demander si LIGO serait en mesure de tester son théorème. Hawking est décédé en 2018 et n'a malheureusement pas vécu assez longtemps pour voir sa théorie vérifiée par l'observation. « Si Hawking était encore en vie, il se serait réjoui de voir la surface des trous noirs fusionnés augmenter », a déclaré Kip Thorne.
La partie la plus délicate de ce type d'analyse est la mesure de la surface finale du trou noir fusionné. Avant la fusion, lorsqu’ils tournent en spirale l'un autour de l'autre, les surfaces des trous noirs peuvent être plus facilement déterminées. Mais après la fusion, le signal n'est plus aussi clair. Au cours de cette phase dite de « ringdown », le trou noir final vibre comme une cloche qu’on a frappée et dont le son faiblit rapidement.


Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont pu mesurer avec précision les détails de la phase de ringdown, ce qui leur a permis de calculer la masse et la rotation du trou noir, puis de déterminer sa surface. Plus précisément, ils ont pu, pour la première fois, distinguer avec certitude deux modes distincts d'ondes gravitationnelles dans la phase de ringdown. Ces modes sont similaires aux sons caractéristiques qu'émet une cloche : ils ont des fréquences assez similaires, mais s’atténuent à des vitesses différentes. Grâce à la meilleure qualité des données de GW250114, les deux modes ont pu être distingués, démontrant que le ringdown du trou noir s'est produit exactement comme prédit par les modèles mathématiques.


Une autre étude de la collaboration LVK, soumise aujourd'hui à Physical Review Letters, impose des limites à un troisième son plus aigu prévu dans le signal GW250114 et rapporte les résultats de certains tests, les plus rigoureux à ce jour, de la relativité générale concernant la description de la fusion des trous noirs.


« Analyser les données de déformation provenant des détecteurs pour capter des signaux astrophysiques transitoires, envoyer des alertes pour déclencher des observations de suivi à partir de télescopes ou publier des résultats physiques en rassemblant des informations provenant de centaines d'événements… C’est un processus assez long ! », ajoute Nicolas Arnaud, chercheur à l’IP2I (CNRS/UCB Lyon) et coordinateur Virgo pour la quatrième campagne d’observations. Parmi les nombreuses étapes complexes qu'exige un tel cadre, je vois les humains derrière toutes ces données, en particulier ceux qui sont d’astreinte à tout moment et qui surveillent nos instruments. Il y a des scientifiques LVK dans toutes les régions, poursuivant un objectif commun. Le soleil ne se couche littéralement jamais au-dessus de nos collaborations ! »


Repousser les limites

Au cours de la dernière décennie, LIGO et Virgo ont également observé des étoiles à neutrons. Tout comme les trous noirs, les étoiles à neutrons sont le résultat de l’explosion d'étoiles massives (mais moins massives) et elles émettent de la lumière. Il convient de noter qu'en août 2017, LIGO et Virgo ont été témoins d'une collision exceptionnelle entre deux étoiles à neutrons, produisant une « kilonova », qui a pu être suivie par des dizaines de télescopes à travers le monde. Ils ont étudié la lumière de la kilonova, à toutes les longueurs d’ondes, des rayons gamma à haute énergie jusqu'aux ondes radio à basse énergie. C’est ainsi que l’on a vu que la collision avait produit et projeté dans l’espace des métaux lourds comme l’or. Cet événement astronomique « multi-messager » a marqué la première observation simultanée de lumière et d'ondes gravitationnelles. Aujourd'hui, la collaboration LVK continue d'alerter la communauté astronomique sur les collisions potentielles d'étoiles à neutrons, afin que celle-ci pointe ses télescopes à la recherche dans le ciel des signes d'une autre kilonova.


« Le réseau mondial LVK est essentiel à l'astronomie des ondes gravitationnelles », déclare Gianluca Gemme, porte-parole de Virgo et directeur de recherche à l'INFN (Istituto Nazionale di Fisica Nucleare). « Ave**c trois détecteurs ou plus fonctionnant à l'unisson, nous pouvons localiser les événements cosmiques avec une plus grande précision, extraire des informations astrophysiques plus riches et permettre des alertes rapides pour un suivi multi-messager. Virgo est fier de contribuer à cet effort scientifique mondial. »


Parmi les autres découvertes scientifiques de la collaboration LVK, citons la première détection de collisions entre une étoile à neutrons et un trou noir, fusion asymétrique dans laquelle le trou noir est nettement plus massif que l'étoile à neutrons partenaire. Il faut aussi citer la découverte de trous noirs les plus légers connus, qui remettent en question l'idée qu'il existe un « écart de masse » entre les étoiles à neutrons et les trous noirs. Et enfin la découverte de trous noirs plus massifs qu’imaginés, le plus lourds possédant une masse de 225 masses solaires. À titre de comparaison, le précédent détenteur du record de la fusion la plus massive avait une masse de 140 masses solaires.


Dans les années à venir, les scientifiques de LVK espèrent affiner encore les réglages de leurs machines, afin d'étendre leur portée. Ils prévoient également d'utiliser les connaissances acquises pour construire un autre détecteur d'ondes gravitationnelles, le LIGO India, situé en Inde. À plus long terme, les scientifiques travaillent sur des concepts de détecteur encore plus grands, sur Terre et dans l’espace. Le projet européen, appelé Einstein Telescope, prévoit la construction d'un ou deux énormes interféromètres souterrains avec des bras de plus de 10 kilomètres. Le projet américain, appelé Cosmic Explorer, serait similaire à l'actuel LIGO, mais avec des bras de 40 kilomètres de long. Des observatoires de cette envergure permettraient aux scientifiques d'entendre les premières fusions de trous noirs dans l'Univers et, éventuellement, l'écho des secousses gravitationnelles de ses tout premiers instants.


« C'est une période extraordinaire pour la recherche sur les ondes gravitationnelles : grâce à des instruments tels que Virgo, LIGO et KAGRA, nous pouvons explorer un univers obscur qui était auparavant totalement inaccessible », déclare Massimo Carpinelli, professeur à l'université de Milan-Bicocca et directeur de l'Observatoire gravitationnel européen à Cascina. « Les avancées scientifiques de ces dix dernières années sont en train de révolutionner notre vision de l'Univers. Nous préparons déjà une nouvelle génération de détecteurs tels que l’Einstein Telescope en Europe et Cosmic Explorer aux États-Unis, ainsi que l'interféromètre spatial LISA, qui nous permettra d'aller encore plus loin dans l'espace et de remonter encore plus loin dans le temps. Dans les années à venir, nous serons certainement en mesure de relever ces défis extraordinaires grâce à une coopération de plus en plus large et solide entre les scientifiques, les différents pays et les institutions, tant au niveau européen que mondial. »