Image du cratère Giordano Bruno, de 22 kilomètres de diamètre, produite par la mission Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) de la NASA. Crédit : LROC team.
Image du cratère Giordano Bruno, de 22 kilomètres de diamètre, produite par la mission Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) de la NASA. Crédit : LROC team.

En développant des simulations numériques d’impact sur la Lune et d’évolution des fragments générés, une équipe internationale dont un membre du laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d’Azur - Université Côte d’Azur – CNRS), démontre que les propriétés physiques et orbitales de l’astéroïde Kamo‘oalewa, sont cohérentes avec celles d’un fragment provenant d’un cratère lunaire plus grand que 10 kilomètres formé lors d’un impact sur la Lune dans les derniers millions d’années [1]. Cet astéroïde est un quasi-satellite de la Terre de quelques dizaines de mètres de diamètre, cible de la mission chinoise de retour d’échantillon Taiwen-2. La source la plus probable est le cratère Giordano Bruno, qui est suffisamment jeune (d’un âge allant de 1 à 10 millions d’années) et de taille adaptée (d’un diamètre de 22 kilomètres), permettant ainsi de relier pour la première fois un astéroïde spécifique à un cratère d’origine sur la Lune.

La population des astéroïdes qui croisent ou s’approchent de l’orbite terrestre, appelés géocroiseurs, contient plus de 30.000 membres connus. Parmi eux, une dizaine partage une orbite similaire à la Terre, avec une distance moyenne au Soleil d’1 Unité Astronomique (la distance de la Terre au Soleil). En particulier, l’astéroïde (469219) Kamo‘oalewa (2016 HO3), cible de la mission spatiale Tianwen-2 de la CNSA (agence spatiale chinoise) qui doit en récolter un échantillon pour le ramener sur Terre, est un quasi-satellite de la Terre. Cela signifie qu’il coorbite avec la Terre autour du Soleil, sur une orbite qui lui est propre mais qui, vue de la Terre, semble tourner autour d’elle. C’est donc un compagnon de la Terre qui, techniquement, évolue sur une orbite en résonance de moyen mouvement 1:1 avec la Terre. Or, des observations récentes depuis la Terre indiquent que Kamo‘oalewa a les mêmes caractéristiques spectroscopiques que le matériau silicaté présent sur la Lune, soumis à l’érosion spatiale. Il se pourrait donc que cet astéroïde provienne de la surface de la Lune plutôt que de la Ceinture Principale des astéroïdes, entre Mars et Jupiter, d’où viennent la grande majorité des astéroïdes géocroiseurs, ce qu’une étude précédente étudiant l’évolution dynamique de particules partant de la Lune avec des vitesses arbitraires, a déjà démontré.

Dans cette étude, les auteurs vérifient cette hypothèse en simulant explicitement le processus d’impact sur la surface de la Lune afin de vérifier si effectivement, la matière éjectée lors d’un tel processus peut produire ce type d’astéroïde. Les simulations numériques d’impact sur la Lune qu’ils développent montrent qu’un tel impact produit dans les derniers millions d’années pourrait avoir éjecté suffisamment de gros fragments sur des orbites héliocentriques, certains ayant pu être capturés dans une résonance 1:1 avec la Terre, les permettant d’exister en tant que quasi-satellites de la Terre jusqu’à nos jours. Les simulations permettent aussi de donner des limites aux propriétés du cratère aboutissant à la production de fragments conduisant à la présence de ces objets, et suggèrent que le cratère Giordano Bruno, un cratère de 22 kilomètres de diamètre situé à l’extrémité de la face cachée de la Lune, est le meilleur candidat. Ce scénario sera testé par la mission Tiawen-2 lorsqu’elle ramènera son échantillon de Kamo‘oalewa pour l’analyser dans les laboratoires terrestres. L’analyse d’un fragment lunaire produit par un impact serait précieuse pour avancer dans notre compréhension du processus d’éjection lors d’un impact ainsi que du processus d’érosion spatiale sur la Lune pendant les derniers millions d’années et dans l’environnement dynamique du voisinage terrestre. Par ailleurs, Kamo‘oalewa tourne en seulement 28 minutes sur lui-même, ce qui rend une structure monolithique plus probable. Au-delà de sa possible origine lunaire, un objet d’une si petite taille, tournant aussi vite sur lui-même et d’une telle structure suscite un enthousiasme certain car un tel objet n’a jamais été exploré jusqu’à présent.

Contact : Patrick Michel, directeur de recherche CNRS, laboratoire Lagrange(Observatoire de la Côte d'azur - Université Côte d'Azur - CNRS) - Courriel : michelp@oca.eu.
[1] L'article scientifiique sous comité de lecture Asteroid Kamo‘oalewa’s Journey from Lunar Giordano Bruno Crater to Earth 1:1 Resonance, par Yifei Jiao, Bin Cheng, Yukun Huang, Erik Asphaug, Brett Gladman, Renu Malhotra, Patrick Michel, Yang Yu & Hexi Baoyin, est à retrouver dans Nature Astronomy (DOI : 10.1038/s41550-024-02258-z), à cette adresse : https://www.nature.com/articles/s41550-024-02258-z (en anglais).